L'enfance:la
famille musicienne
Louis-Charles-Augustin-Claude
Trenet est né à Narbonne, le 18 mai 1913. Son père
Lucien est un notaire respecté, et aussi un mélomane averti.
Il est
mobilisé en 1915 et ne revient que quatre ans plus tard. .
La jeune Marie-Louise, avec qui il s'était marié lui donne
deux fils : Antoine, trois ans avant Charles.
Charles à 7 ans quand sa mère quitte la famille.Dans
le genre, c'est peut-être elle qui lui a transmis le gène
de la flânerie buissonnière: entre deux inventaires après
décès, son mari a eu beau lui donner des concerts de violon
et lui offrir sa poésie du dimanche, madame a fait sa valise. Elle
a plaqué son petit monde pour suivre un dandy épatant: Benno
Vigny, cet amant de Marlene Dietrich à qui l'on doit quand même,
entre deux nanars, le scénario du Morocco de Josef von Sternberg,
avec Gary Cooper et son képi blanc.Son
père qui à la garde de ses deux fils les envoie à
l'internat à Béziers. Mais bientôt, Charles est atteint
par une fièvre typhoïde quelques mois après son entrée
au collège qui l'oblige à retourner à la maison.
Sa convalescence lui permet de développer sa sensibilité
artistique : modelage, musique, peinture. Guéri, il retourne à
l'école.
En 1922, la famille s'installe à Perpignan. Charles est externe
au collège où il se montre rebelle aux mathématiques.Mais
l'adolescent se réveille et il est renvoyé en 1928 du lycée
de Perpignan pour injures au surveillant général.
A Perpignan, où il a grandi, Charles a été nourri
de cette poésie instinctive, qui va de pair avec des calembours
pitoyables, auprès d'un chef de gang nommé Albert Bausil:
son journal, Le Coq catalan, publie Jean Cocteau, Max Jacob, Gaston Bonheur
et tous les parrains futurs de Trenet. A Perpignan, c'est le seul refuge
de ceux qui étouffent. Le petit Charles en est. C'est là
qu'il fait ses gammes. A 13 ans, il apparaît sur la scène
du Nouveau Théâtre, en slip léopard, avec des grappes
de raisin dans les cheveux. C'est un bon début. Sa famille, déjà,
a décidé qu'il serait architecte. Son père, lui,
rêve qu'il lui succédera dans sa charge de notaire. Pour
se faire une idée, quand Charles se lancera dans la chanson sous
le coq légendaire de Pathé-Marconi, l'âme du Coq catalan
créera un Comité pour la mise à mort de Tino Rossi:
"Je demande, dit-il, la suppression des cordes vocales et des disques
de Tino Rossi.
L'adolescent:mes
jeunes années
A l'âge
de 15 ans, il part à Berlin rejoindre
sa mère et son amant, le scénariste et réalisateur
de cinéma Benno Vigny pour six mois. C'est lui qui lui fera découvrir
le Jazz
et, surtout, celui qui restera son totem vivant: Gershwin.Dix mois durant,
il y fréquente une école d'art, y rencontre les célébrités
de la capitale allemande, de Fritz Lang à Kurt Weill, écoute
Fats Waller. C'est pour lui une période de découvertes tous
azimuts, dont il gardera une empreinte définitive. En 1930, sur
la promesse donnée à son père d'entrer à l'Ecole
des Arts Décoratifs, Charles Trenet monte à Paris, et se
fait engagé comme assistant metteur en scène et accessoiriste
aux studios de Joinville par Jacques de Baroncelli .Trenet est pris dans
un tourbillon dont il ne sortira plus avant longtemps.Il rencontre Antonin
Artaud, alors acteur d'Abel Gance, qui lui livre les clefs de son étrange
univers. Trenet, dont le Mercure de France, alors dirigé par Paul
Léautaud, publie les premiers poèmes, a des soucis littéraires.
Il voudrait faire éditer ses premières uvres, deux
romans, Dodo Manières (éd. Albin Michel, 1940) et La Bonne
Planète (éd. Brunier, 1949), plus une fantaisie historique,
Les Rois fainéants.Max Jacob gravite au centre d'un univers poétique
où Léon-Paul Fargue, Philippe Soupault, Jean Cocteau déconcertent
l'esprit de sérieux, la culture élitiste et la grammaire
stricte. En joyeuses équipées, les poètes vont au
spectacle : ils y applaudissent Georgius, Maurice Chevalier, Mistinguett,
Marie Dubas, Damia.
En 1932, Benno Vigny revient à Paris avec Marie-Louise, pour y
tourner Bariole(en coréalisation avec Max Reichman). Le film, à
vocation musicale, réclame quatre chansons. Charles, auteur en
herbe (il commence à écrire des poèmes, des articles
de journaux et des romans-feuilletons sous le pseudonyme de Jacques Brévin.).
En janvier 1933, à vingt ans, il passe l'examen d'auteur à
la Société des auteurs-compositeur éditeurs de musique
(Sacem).
Charles
et Johnny
En 1932, dans un club de jazz, il fait la connaissance d'un jeune pianiste,
Johnny Hess. C'est ainsi que naît le duo "Charles et Johnny".
Ils font leurs premières armes en écrivant des messages
publicitaires pour la radio (Radio Cité à Paris). Les célèbres
couplets de "Quand les beaux jours seront là" et "Sur
le Yang Tsé Kiang" sortent pour le compte des Disques
Pathé. Les duettistes allient chanson française et mélodie
moderne. C'est la naissance du style "fleur bleue" qui est assez
caractéristique des années 30. Il s'agit en fait de l'adaptation
française du style dynamique et jeune des comédies américaines.La
mode est aux duos, au swing naissant. Jean Tranchant, dont les compositions
évoquent " des joies simples au cur d'une nature familière
",Mireille et Jean Nohain insufflent une nouvelle vigueur aux variétés.
Gilles et Julien (Jean Villard et Aman Maistre) créent un style,
satirique, engagé. Pills et Talbet (Couchés dans le foin...)font
un tabac. Charles écrit, Johnny compose. On retrouve aussi l'ami
Bausil, auteur des paroles de Sur le Yang Tsé-kiang, chanson extravagante,
destinée à devenir le point fort du spectacle que les deux
compères, réunis en duo, Charles et Johnny, s'apprêtent
à monter. En attendant la gloire, ils élaborent des messages
publicitaires pour Radio-Cité. " Pas de santé sans
le thé des familles. Non, pas de santé sans ce thé
", etc.
Les voilà bientôt engagés au Palace par Henri Varna,
qui dirige également le Casino de Paris. Non pas que cette figure
du spectacle parisien ait cru une seconde à leur talent. Mais la
chance leur avait souri. Au moment où l'audition tournait au fiasco,
Mistinguett est passée dans la salle : " Engagez-les, Henri,
ils sont si mignons... "Les débuts du duo au Palace sont catastrophiques.
Ils chantent (blazer rouge vif, pantalon blanc), les spectateurs parlent
haut, dînent, se lèvent. Trenet claque la porte. On admire
sa force de caractère, mais on déplore son dangereux coup
de tête.
Il n'en a cure. Le duo, en rodage, se refait une santé au Fiacre.
Un cadre au goût des duettistes, où ils se produisent juste
avant Fréhel, pour qui Charles écrit Le Fils de la femme-poisson.
Engagés pour une semaine, ils y resteront plusieurs mois. Car il
y a quelque chose de pétillant, de drôle, une énergie
neuve chez ces deux individus joueurs et romantiques à la fois,
qui s'appuient sur les chansons d'hier, réalistes et sentimentales,
et construisent une nouvelle vision du monde en les parodiant. Charles
et Johnny signent un contrat avec la firme Pathé et enregistrent
seize titres - java chinoise, fox-trot, ronde, slow-fox... - au cours
de l'année 1934. Du duo, Jean Sablon, vedette adulée des
années 1930, crée Rendez-vous sous la pluie(avec Django
Reinhardt), mais surtout Vous qui passez sans me voir. Succès
foudroyant. Les salles s'ouvrent : le Lido, Bobino, les Deux-Anes. Les
tournées s'enchaînent à travers la France...
Trenet commence à asseoir sa réputation d'auteur. Il fait
alors la connaissance de Mireille, de l'éditeur musical Raoul Breton
et de sa femme, dite " la Marquise ", qui l'aideront et l'influenceront
tout au long de sa carrière. A la fin de 1936, Ray Ventura et ses
Collégiens font danser la France sur Madame la Marquise, Ça
vaut mieux que d'attraper la scarlatine (de Paul Misraki).Maurice Chevalier
tombe des nues. Trois ans plus tôt, il est allé voir, au
Fiacre, les duettistes Johnny (Hess) et Charles (Trenet) dans leur numéro
musical de zazous avant la lettre. Son jugement est sans appel: deux fumistes.
C'est un peu raide, quoique assez juste. Il n'empêche. Avant de
se déchirer, les deux zigotos livreront à Jean Sablon une
chanson torchée en cinq minutes, sur un coin de nappe en papier:
le sobre chef-d'oeuvre qu'est Vous qui passez sans me voir. On
ne le sait pas encore, mais ce sera le deuxième étage de
la fusée Trenet: ses romances nostalgiques, à vocation universelle
1936, Trente met fin au duo Charles et Johnny pour cause de service militaire.
Le
fou chantant:Boum
. En octobre, il rejoint la caserne d'Istres. Très vite, il s'ennuie
de Paris. Pour tuer le temps, il écrit "Y'a d'la joie"
que bientôt le célèbre Maurice Chevalier crée
sur la scène du Casino de Paris, à cette époque,
on peut aussi le voir au cinéma dans deux films où il tient
le premier rôle, "La route enchantée" et
"Je chante". Il en signe les chansons. Dans la foulée,
Yves Montand, qui débute à Marseille, intègre "C'est
la vie qui va" à son répertoire.Son coup d'envoi
date du 25 mars 1938, à l'ABC, et ce sera un coup de tonnerre.
Il a 24 ans. Pour la première fois, il est seul sur une scène
mythique. Jusqu'à son entrée, les complaintes de fille mère,
les roucoulades carabinées et les chansons de pétomane font
la loi sur le répertoire. Ce soir-là, le petit Charles passe
en première partie de la grande Lys Gauty. Il a "droit"
à trois chansons. Il attaque alors Je chante, et ses mains, ses
pieds, ses yeux partent dans tous les sens. Dans la salle, à la
seconde même, c'est plus que du délire. Cette fraîcheur,
cette modernité, ce tonus... Derrière, il leur envoie
Fleur bleue, Boum, La Polka du roi, Tout est au duc, J'ai ta main
et Y a d'la joie. Le rythme. L'écriture. La voix. Et plus rien
ne sera jamais comme avant.Le chanteur s'est inventé une image
en forme de bulles de champagne : chapeau rond rabatu en arrière
comme une auréole (" pour casser un visage trop rond "),
illet rouge à la boutonnière, complet-veston et sourire
éclatant - le modèle en serait un Mercure, portant casque
relevé et petites ailes aux pieds, qui ornait la façade
de l'hôtel de Noailles sur la Canebière, où Charles
se promenait.
Tassé dans un fauteuil, il n'y en a qu'un qui tire la gueule. Maurice
Chevalier. La star absolue. Il vient de comprendre. Quoi donc? Cette langue
française, si simple, si belle, swingue à merveille sur
des syncopes harmoniques. Ce mélodiste est génial. La tessiture
du petit morveux est un battement de coeur. Bref, c'est un objet chantant
non identifié, qui vient d'apparaître dans la Voie lactée
du music-hall. A compter de ces heures, l'immense Momo comprend qu'il
va devoir partager..
Pour l'éternité, Maurice Chevalier n'en restera pas moins
celui qui a créé Y a d'la joie, que l'aspirant "Fou
chantant" a composée en 1936, en balayant la cour de sa caserne.
A la base, le Momo n'était pas très chaud pour l'essayer
- on sait que c'est Mistinguett qui lui a mis le revolver sur la tempe.
Mais il suffit d'un peu d'imagination pour se mettre à sa place:
qu'est-ce que c'est que ce truc où un métro "court
vers le bois à toute vapeur", où "la tour Eiffel
part en balade" et "saute la Seine à pieds...
La
guerre:Douce France
En juin 1940, il obtient d'être démobilisé, sous un
prétexte qui confine à la moquerie : " Agriculteur,
doit aller planter ses pommes de terre dans sa propriété
de Juan-les-Pins".
Voici ce que Paris-Soir écrivait en juillet 1940, en le "tuant"
dans un accident d'avion: "Il arrivait en scène, ainsi
qu'à une fête, le chapeau en arrière, le visage barbouillé
de sourire comme de confiture, et aussitôt, la salle était
comme illuminée: y avait de la joie... Ce garçon, qui jouait
avec son talent comme avec une toupie, nous a quittés un peu trop
tôt."
La guerre,ne sera pas une période claire pour le fou chantant.
Autant évoquer d'entrée La Marche des jeunes - " Ladite
Marche va se retrouver sur la face B d'un Maréchal, nous voilà!
d'Henry Jossy, et devenir une chanson de scouts à l'usage des Jeunesses
de Pétain.
Mais
au delà d'une future polémique, il chante Espoir, de Jacqueline
Batell. Il chante Le Temps des cerises, de Jean-Baptiste Clément.
Et puis les siennes. Si tu vas à Paris, que Vichy interdira en
1942. Il chante aussi, et même surtout, une certaine Douce France,
que l'on reprend dans les maquis. Toutes ses chansons sont des hymnes
à la liberté, et, en prime, c'est jazzy. Les cerveaux de
Je suis partout et du Réveil du peuple ne sont pas dupes: Trenet
ne sera pas qu'un "sale juif"; ce sera un "sale nègre".
Ce "clown judéo-américain" a les honneurs de Lucien
Rebatet. Et d'autres. Quand l'artiste met en musique - et de quelle façon!
- les sanglots longs de Verlaine, Jean Boissel en appellera au cassage
de tête: "Il existe une loi qui interdit de verser des ordures
le long des murs..."
Selon
la presse collaborationniste, Trenet ne serait que l'anagramme de Netter.
Il est sommé de faire la preuve, sur quatre générations,
de sa non-judaïté. Il s'exécute, démarche qui
lui sera plus tard lourdement reprochée, ainsi que sa décision
de continuer les spectacles (notamment sa participation à la revue
Quartier latin aux Folies-Bergère) pendant les années d'Occupation,
ou encore celle d'accepter, comme Piaf et Chevalier, de partir en Allemagne
en 1943 à la demande des autorités du Reich pour soutenir
le moral des prisonniers français et des travailleurs du STO. Au
Winter Garten de Berlin, Piaf entonne De 'l'autre côté
de la nuit", Trenet Douce France.
C'est la guerre. Django Reinhardt, que l'on retrouve sur certains enregistrements
du " fou chantant ", fait passer le virus Nuages dans les murs.
Trenet compose La Mer en 1943, dans le train qui l'emmène à
Perpignan, en compagnie de Roland Gerbaud et du pianiste Léo Chauliac,
son accompagnateur. Une chanson qu'il trouve alors trop " solennelle
et rococo " et qu'il range au placard, pour ne la sortir qu'en 1946,
sur l'insistance de Raoul Breton. Puis c'est la Libération. Trenet,
qui raconte qu'il a été blessé par des membres de
la Gestapo venus l'interroger dans sa villa de La Varenne, fait sa rentrée
en boitant sur la scène de l'ABC.
Les
années 50:Swing Troubadour
Au
début de la Deuxième Guerre mondiale, Charles Trenet, devenu
gloire nationale, est chargé d'organiser des spectacles au profit
de l'armée de l'air. Plus que jamais le music-hall fait oublier
le drame de la guerre. De retour au cinéma, il compose les chansons
de la "Romance de Paris" de Pierre Caron dont le thème
musical obtient un franc succès. Après la fin de la guerre,
Charles Trenet part à la conquête des Etats Unis.En 1945,
le Français catalan part à New York, après un triomphe
au Bagdad, à Paris (Yves Montand est en première partie).
Des cabarets " dîner- spectacle " à Broadway, l'ascension
américaine est rapide. Il compose une " symphonie ",
Un Parisien à New York, dans un style peu habituel.
Le voici dans un univers qui lui est relativement familier, celui de George
Gershwin, de Duke Ellington, de Louis Armstrong, le premier musicien qu'il
rencontrera là-bas, ou de Chaplin, avec qui il se lie d'amitié.
Charles Trenet aime l'Amérique : " On y a toujours l'impression
de ne pas perdre son temps, même quand on flâne. "Il
achète un appartement à New York, filme inlassablement en
amateur passionné les enseignes de Broadway.
Il sillonne le pays jusqu'en Californie, passe par les fourches Caudines
du FBI, défenseur du puritanisme ambiant, se prend d'amour pour
Hollywood, mais renonce à y travailler après quelques tentatives
de collaboration avortées. Après deux ans d'illuminations,
ce sera l'Amérique du Sud, Rio de Janeiro.
Il devient rapidement célèbre à Broadway. Il est
l'ami de Chaplin, Mary Pickford ou Laurel et Hardy. Pendant six ans, il
va voyager à travers l'Amérique, le Canada, le Mexique et
même le Pérou.
"La Mer", chanson composée avec Léo Chauliac en
1938, enregistrée par Trenet en 46, devient "Beyond the
sea" sous la plume de Jack Lawrence. Elle sera reprise par un
grand nombre d'interprètes anglo-saxons.
Le
14 septembre 1951, Charles retrouve Paris en effectuant sa rentrée
au Théâtre de l'Etoile. A son programme, dix nouvelles chansons
parmi lesquelles "De la fenêtre d'en haut" et "la
Folle complainte". En 1954, il se produit à l'Olympia
pour la première fois. L'année d'après, il compose
"Route nationale 7", hymne aux congés payés,
"la Java du diable", conte extraordinaire et "Moi
j'aime le music-hall". Il retourne également sur la scène
de l'Olympia avec son compère Francis Blanche en première
partie.
En 1958, le voici à l'affiche de Bobino et de l'Alhambra, et 1960,
de nouveau au Théâtre de l'Etoile. Pour la première
fois, il apparaît sur scène sans son célèbre
chapeau mou qu'il arborait jusque-là.
LES
ANNEES 60:Tempéramentale
Durant
les années 60, Charles Trenet ne se produit plus que très
rarement.Au début des années 60, le rock et bientôt
la vague yéyé submergent la France. Trenet continue de tourner
dans l'Hexagone et à travers le monde. Puis il prend une semi-retraite
consacrée à la peinture dans sa propriété
de La Varenne. Il publie un roman, "Un noir éblouissant",
chez Grasset. Trenet entame une période noire, émaillée
d'anecdotes désagréables, où il révèle,
sous les apparences sympathiques et désormais célèbres
du " fou chantant ", un caractère plus aigri. Il y a
des procès pour plagiat qu'il intente (réglés à
l'amiable, l'un contre Claude François, un autre contre Charlie
Chaplin), les accusations troubles (la majorité légale des
jeunes gens en France est fixée à vingt et un ans) .Il aimait
les garçons, en faisait état mais pas étalage. Il
fut, le 13 juillet 1963, pourchassé pour des motifs datant d'autres
temps et d'autres moeurs. Aujourd'hui, l'accusation fait sourire. A la
suite d'une plainte évidemment anonyme, le chanteur, qui séjournait
alors dans sa propriété méditerranéenne du
Domaine des esprits, cachée dans les oliveraies proches d'Aix-en-Provence,
avait été appréhendé en compagnie de quatre
jeunes gens et inculpé d'outrages à la pudeur et attentat
aux moeurs. Il avait été placé sous mandat de dépôt
et écroué à la maison d'arrêt d'Aix en même
temps que son ex-cuisinier, chauffeur et secrétaire qui l'accusait
de l'avoir obligé à recruter des garçons pour des
parties. Retenu en prison pendant un mois avant d'être relâché,
Charles Trenet était ensuite, quelques mois plus tard, passé
en jugement et avait été condamné à un an
de détention et 10 000 francs d'amende mais avait bénéficié
du sursis. Pendant son séjour carcéral, le Fou chantant
avait composé une prière pour les prisonniers et une chanson
pour le gardien-chef. Il avait aussi fait appel du jugement en niant farouchement
ce qui resta toujours au niveau des rumeurs. A celui qui avait comparé,
non sans raison, son cas à celui de Verlaine, les Aixois, venant,
sous les fenêtres de sa cellule, chanter quelques-uns de ses airs
les plus célèbres et aussi multiplier les ovations, n'avaient
pas ménagé leur soutien.
Trenet collectionne les maisons et les résidences secondaires à
Paris, Aix ou Narbonne, passe de l'une à l'autre. Après
avoir accueilli le rock d'un il tolérant, il se fâche
: " A force d'être gentil, on finit par être suspect.
Il y a cinq ans que je supporte sans rien dire les imbécillités
qu'éditent les maisons de disques et que diffusent les postes de
radio, déclare-t-il dans un entretien à L'Express. Aujourd'hui,
je veux me battre. En 1968, pour fêter ses 55 ans et ses 30 ans
de carrière, il projette de créer l'événement
avec un retour sur scène à Bobino. L'effervescence de mai
68 l'empêche de réaliser son voeu et l'amène effectuer
un retour discret au Don Camillo, célèbre cabaret parisien.
C'est en fait en 69 au Théâtre de la Ville qu'aura lieu son
véritable retour.
LES
ANNEES 70: Fidèle
En 1970, il est hôte de marque au Japon pour l'Exposition Universelle
d'Osaka.Puis retrouve l'Olympia en 1971 avec de nouvelles chansons :
Fidèle, Joue-moi de l'électrophone.
Pour ses soixante ans en 1973, Charles Trenet sort un nouvel opus de douze
morceaux intitulés "Chansons en liberté".
Un album particulier où se mêlent des titres nouveaux et
d'anciennes compositions.
L'anniversaire du "Fou chantant" comme on le nomme communément
est largement célébré par les médias. En 1975,
c'est le coup de théâtre. Il annonce ses adieux à
la scène et pour donner un dernier coup de chapeau à son
public, choisit une nouvelle fois l'Olympia. Puis la disparition de sa
mère en 1979, avec laquelle il entretenait des liens très
étroits, l'enferme dans sa douleur durant deux années de
réclusion.
Désormais
installé dans une semi-retraite tranquille, parfois agrémentée
de quelques galas en France et à l'étranger, Charles se
retire dans sa propriété du sud de la France.
LES
ANNEES 80 : Je chante
Après un album discret, hommage à sa mère décédée
l'année précédente, il replonge à Antibes
au Festival de la chanson française, puis à Montréal
en 1982 pour une soirée de gala, et reprend du service sur l'insistance
d 'un producteur canadien, Gilles Rozon. En 1985, l'album Florilèges
passe quelque peu inaperçu. Mais imperceptiblement Trenet se rapproche.
" Sans lui, nous serions tous des experts-comptables ", disait
Jacques Brel. " Que voulez-vous, je prie Trenet en son église
", ajoute Alain Souchon.
En 1987, au Printemps de Bourges, Jacques Higelin, qui se réclame
du rock et de Charles Trenet, intronise l'idole des années 40.
La salle est debout. L'ovation, inattendue. Les envies de retour à
la simplicité mélodique et aux textes bien ciselés,
qui se concrétise dans la nouvelle vague de chanteurs des années
70 (Souchon, Jonasz, Chédid) font redécouvrir la parenté
du grand Charles. Swing et jazz à la française regagnent
du terrain sur le rock binaire. On entend à nouveau, venue du fond
des modes, la voix de Boris Vian : " Cette pulsation nouvelle,
cette extraordinaire joie de vivre apportée par les chansons que
ce garçon ébouriffé -Trenet- lançait à
la douzaine, étaient nées de la conjoncture d'un remarquable
don poétique et de la vitalité du jazz assimilée
pleinement par une fine sensibilité. "
A l'heure de son jubiléé le 26 septembre 1987,il ressort
son chapeau et son célèbre oeillet pour se produire à
Paris au Théâtre des Champs-Élysées.
Charles Trenet, toujours pétillant, vif et iconoclaste, revient
en décembre 1989 sur la scène du Châtelet, puis, l'année
suivante, au Palais des congrès, après un engagement politique
relatif aux côtés de François Mitterrand et de Jack
Lang lors de l'élection présidentielle de 1988.
Les
années 90:Fais ta vie
En octobre 1992, paraît un album, Mon cur s'envole,
treize nouvelles chansons où Trenet renoue avec un style qui lui
est désormais éternel : le rythme, l'ironie, la tendresse,
l'envol. Quand reviendront les cigales ou Nagib auraient
pu se situer avant-guerre. Mais la maîtrise du genre acquise par
Trenet lui permet, en jonglant avec les mots et les images, de bâtir
des mélodies indémodables. En 1995, Fais ta vie revendique
le même optimisme, ardent et déterminé. C'est sa façon
à lui de nager à contre-courant, avec un brin constant d'insolence.
A 85 ans, Charles Trenet fait une apparition remarquée lors de
deux festivals en juillet 98, dont le festival de Nyon en Suisse le 25
juillet. Il y chante devant plus de 20.000 personnes qui reprennent en
coeur avec lui tous ses tubes légendaires de "la Mer"
à "Y'a d'la joie".
L'actualité fait-elle la grimace ? Trenet brandit très haut
la bannière de la vie.L'album " Les poètes descendent
dans la rue", paru en 1999, ne néglige aucun jeu de mots
: " J'ai des mites, j'ai des mites au logis... " Il revient
encore une fois sur la tristesse d'une enfance passée au pensionnat,
assume la vieillesse en la féminisant (Le Voyage de la vieille),
écrit sur la banlieue, s'amuse et se désole, fidèle
à lui-même.
Sur la lancée, le chanteur remonte sur scène et se produit
les 4, 5 et 6 novembre à la salle Pleyel devant un public acquis
qui applaudit le vieil homme avec émotion. Celui-ci se déplace
difficilement mais chante avec autant d'enthousiasme qu'à 20 ans.
En avril 2000, le chanteur est hospitalisé d'urgence après
un accident cardio-vasculaire. Mais plusieurs semaines d'hospitalisation,
le chanteur se rétablit et assiste à l'automne à
la générale des spectacles de Charles Aznavour au Palais
des Congrès.
En novembre, la maison natale du Narbonnais, située au 13 de l'avenue
Charles Trenet, devient un petit musée. Souvenirs, objets, chansons,
la promenade plonge le visiteur à la fois dans la vie familiale
de Trenet, évoquant en particulier sa mère longtemps résidente
des lieux, et dans son parcours artistique.
L'âme
du poète...
Il
voulait quitter la scène avec la légèreté
d'un poète : «Je m'envolerai», disait-il. Charles Trenet
s'est éteint paisiblement, dans la nuit de dimanche du 18 au 19
février 2001 , il avait été hospitalisé quelques
jours auparavant, après une attaque cérébrale. Mort
dans un hopital un peu froid, loin de Narbonne et sans même l'ombre
d'un petit jardin extraordinaire. Mais le fou chantant va continuer à
tomber du ciel pour l'éternité...è
FILMOGRAPHIES
Au sommet de sa gloire, Charles Trénet a tourné dans dix
films:
-"La Route enchantée" (Pierre Caron, 1938)
-"Je chante" (Christian Stengel, 1938)
-"Romance de Paris" (Jean Boyer, 1941)
-"Frederica" (Jean Boyer, 1942)
-"Adieu Léonard" (Pierre Prévert, 1943)
-"La cavalcade des heures" (Yvan Noé, 1943)
-"Bouquet de joie" (Cam, 1951)
-"Boum sur Paris" (Maurice de Canonge, 1953)
-"Printemps à Paris" (Roy, 1957, son seul film en couleurs)
-"C'est arrivé à 36 chandelles" (Henri Diamant-Berger,
1957)
n
première partie de Lys Gauty. L'explosion artistique de Charles
Trenet en 38 est subite. Il devient l'idole de la jeunesse.
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